Certains d’entre eux voyagent depuis plusieurs mois, d’autres même depuis plusieurs années. Certains ont quitté leur pays seuls, d’autres sont partis avec leur famille. Certains sont partis en famille mais se sont perdus en route. « Et toi ? Es-tu seul, comme moi ? nous demande Zac, du haut de ses vingt ans et avec un ton de résignation dans sa voix qui fait comprendre que quelque chose ne va pas. Certains sont soutenus par leurs familles, d’autres non. Certains sont considérés par leurs proches comme des fous, d’autres sont pris en exemple. Ils veulent aller en Italie, en France, en Allemagne, en Belgique, en Suisse, et ils sont prêts à tout pour y arriver, souvent sans connaître vraiment les risques du « jeu » - ainsi appellent-ils leurs tentatives d’atteindre leurs destinations en Europe.
Des milliers d’entre eux sont bloqués dans l’usine de Bira, à Bihac, Bosnie, où Télécoms Sans Frontières (TSF) a commencé une collaboration avec des agences de l’ONU pour offrir une connexion internet gratuite avec accès Wi-Fi depuis début Novembre 2018. En parcourant l’usine de 20 000m2, on croise rarement quelqu’un sans son smartphone dans les mains et ses écouteurs aux oreilles. Certains sourient, certains rient, certains écrivent des messages, certains parlent. On pourrait se demander pourquoi ; à priori ils devraient avoir d’autres priorités comme la nourriture, la chaleur, les soins médicaux. Ces besoins sont certes indispensables, mais la connexion internet leur donne un semblant de normalité dans une situation qui est tout sauf normale. Plusieurs acteurs humanitaires et agences de l’ONU sont actives dans le centre pour assister les migrants et réfugiés, mais malgré leurs efforts, les conditions de vie d’un tel centre peuvent être très difficiles. Froid, obscurité, manque de nourriture, manque d’information sur leur futur, risque de perdre ce qu’ils ont sacrifié pendant des années de tentatives de changements de vie, frustration d’être bloqués dans un endroit sans possibilité d’aller ni en avant ni en arrière. Repartir voudrait dire renoncer, « si je retournais ils me tueraient », continuer apparaît comme un inconnu dangereux, mais prometteur. Frustration d’être bloqués dans un endroit où ils ne peuvent pas se réaliser : pas de vie, pas de travail, seulement attendre et risquer leurs vies pour réaliser leurs rêves. Avec la connexion gratuite de TSF, ils peuvent prendre un peu de recul et donc rendre cette situation un peu plus tolérable.
« C’est génial ce que vous faites, internet est très important pour ces enfants, sinon ils deviendraient fous » nous dit un acteur humanitaire qui contrôle le respect des droits des enfants dans le centre. Il nous montre un enfant, assis sur le sol, proche du radiateur, porte ouverte, maximum 10 degrés dehors, smartphone dans ses mains, qui regarde des dessins animés, parce que oui, il a besoin de rester au chaud, mais il a aussi besoin d’être un enfant et de s’amuser, peu importe le froid dehors. Un centre pour migrants n’est pas un endroit pour des enfants. Les enfants ont le droit d’apprendre, de jouer, de s’amuser. Dans un contexte où tout cela n’est pas possible, le fait de parler avec leurs parents et amis, de regarder des dessins animés les amène pour quelques instants loin d’une situation qu’ils peuvent à peine tolérer. « Hey, est-ce que tu sais que je parle anglais ? » nous dit un enfant qui joue avec un petit scooter, 8, 10 ans maximum. En discutant avec lui on découvre qu’il est bloqué dans le centre de Bira avec sa famille et qu’il parle parfaitement anglais. « Amène-moi avec toi en Italie » c’est ce qu’il répète, deux, trois fois. Peut-être il ne sait même pas où l’Italie est, ni les difficultés qu’il pourrait rencontrer une fois là-bas, mais c’est probablement ce que n’importe quel enfant nous dirait dans la même situation : « Emmène-moi ailleurs ».
Le besoin de normalité n’est pas seulement pour les enfants. Dans un centre pour migrants, même les adultes ne peuvent avoir une vie normale. « Si je me sens nerveux je les appelle [mes parents] parce qu’ils m’aident à me relaxer » nous dit Rajan. Journaliste dans son pays d’origine, il a décidé de partir pour trouver un avenir meilleur ; il a tout perdu sur la route, et grâce à la connexion de TSF il peut rester en contact avec sa famille, les rassurer, leur dire s’il a des problèmes, et donner et recevoir un soutien réciproque si besoin. Si cela semble normal pour nous tous, ces contacts sont d’autant plus essentiels quand la normalité n’est plus la norme. « Ils sont préoccupés, ils veulent savoir si je suis en sécurité » continue Rajan, « Ma mère pleure à chaque fois que je l’appelle, elle me demande si j’ai assez à manger ici » nous confirme un autre migrant. Quelle mère ne s’inquièterait pas pour ses enfants et ne voudrait pas être sûre qu’ils ont assez à manger ? D’autant plus quand ils sont à des milliers de kilomètres de distance et qu’ils ne les ont pas vus depuis des années. Vu la situation, certains préfèrent masquer la réalité « ma mère est déjà malade, si je lui disais les conditions dans lesquelles je vis ici sa santé s’aggraverait encore plus » nous dit Aria.
La connexion gratuite de TSF ne donne pas seulement aux migrants et refugiés dans le centre quelques lueurs d’une vie normale, mais elle leur offre aussi la possibilité de rester informés et en sécurité. Ils lisent les nouvelles de leurs pays d’origine pour connaître la situation dans laquelle leurs familles vivent et ils peuvent aussi trouver des informations sur leurs droits, leur sécurité et les procédures d’asile.
Familles et amis doivent rester en contact, les enfants ont le droit de jouer et d’apprendre, les parents ont besoin d’être rassurés et les personnes seules de se sentir moins seules. Dans un contexte où tout ceci est presque impossible, où la vie semble s’être arrêtée, TSF donne chaque jour à plus de 1 400 personnes des moyens de communication, conformément à sa devise, « Communications pour la vie ».
Crise Migratoire des Balkans: des communications pour une vie plus normale
« Migrants », « réfugiés », « déplacés », combien de fois avons-nous entendu ces mots ? Si souvent au cours de ces dernières années que nous risquons de manquer leur véritable sens. Ces mots utilisés si fréquemment décrivent rarement la nature, parfois très variée, de ceux qu’ils représentent. Derrière ces mots, il y a en fait de nombreuses personnes, chacune avec son histoire, son pays d'origine, son chemin et sa destination, chacune avec ses rêves, ses espoirs, ses peurs et ses besoins. Ces personnes ont cependant toutes une chose en commun: la recherche d’une vie normale. « Dans mon pays, la situation est difficile. Chaque jour, vous entendez parler d'attaques à la bombe ou d'explosions », « D'un jour à l'autre, vous pouvez apprendre que votre père ou votre ami est mort ». Face à une telle situation, qui ne partirait pas à la recherche de la normalité ?