Guerre du Kosovo - populations refugiées en Macédoine
Contexte : Conflit
Date de début : 05/04/1999
Date de fin : 05/07/1999
Zones d’intervention : 2 camps de réfugiés
- Camp de Stenkovac
- Camp de Brazda
Activités : Opérations de téléphonie humanitaire
65 000 appels offerts
Contexte
La guerre du Kosovo a débuté le 6 mars 1998 et s’est terminée le 10 juin 1999, sur le territoire de la République fédérale de Yougoslavie, opposant l'armée yougoslave à l'armée de libération du Kosovo et l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN). Le Kosovo comptait 1,9 millions d'habitants en 1991, dont plus de 1,8 millions d'Albanais de souche. Depuis mars 1998, 981 000 personnes ont fui le pays ou en ont été expulsées. Les réfugiés kosovars ont trouvé refuge dans les pays voisins, en Macédoine, Albanie, Monténégro et Bosnie.
En Macédoine, un total 248 400 réfugiés kosovars ont traversé la frontière. Plusieurs dizaines de milliers ont été enfermés parfois pendant plusieurs mois dans les camps de Stenkovac et Brazda, qui n’étaient à la base que des camps de transit pouvant accueillir quelques centaines de personnes. Les réfugiés arrivaient chaque jour par centaines par bus, « déversés » par l’armée macédonienne. Ils restaient un jour, plusieurs jours ou plusieurs semaines dans l’attente d’un transfert vers un autre camp, une famille d’accueil ou d’un départ vers la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, le Canada.
Les télécommunications au cœur de l’aide humanitaire
Le 5 avril 1999, dès l’arrivée des premiers réfugiés dans le camp de Stenkovac, Télécoms Sans Frontières était opérationnel avec un téléphone satellite. L’armée française venait d’arriver et procédait à l’installation» du camp : montage des tentes, premiers contacts avec les réfugiés qui commencent à arriver de Blace (frontière Kosovo/Macédoine).
Trois membres de l’organisation étaient présents pour permettre aux réfugiés de passer leur premier appel depuis leur départ du Kosovo. Très vite, une longue file silencieuse se forme spontanément, des gens terrassés de douleur et de fatigue, avec tout de même une lueur d’espoir dans leurs yeux : peut-être pourront-ils joindre un membre de leur famille ? Signe frappant et évocateur, ces personnes, dépossédées de tout papier, passeport, argent, ont caché dans leurs vêtements un bout de papier, souvent chiffonné, parfois illisible, avec un numéro de téléphone. Preuve en est - s’il en fallait une - que la communication est, certes après les soins, la nourriture et l’hébergement, un besoin vital.
Le principe de TSF est simple : chaque réfugié dispose d’une minute à une minute trente pour appeler sa famille à l’étranger, donner le numéro de notre téléphone satellite et la famille le rappelle immédiatement. Dès le lendemain, il devient quasiment impossible d’émettre un seul appel, car le numéro d’appel de TSF a circulé dans toutes les communautés kosovares du Monde entier, et les appels affluent en permanence.
Sous les demandes d’appels, TSF élargit son action grâce à ses partenaires
Les journalistes, présents sur le terrain ont aussitôt compris l’originalité de l’action, mais surtout son importance. L’impact médiatique était tel que le secteur privé s’est mobilisé. Cinq jours après notre arrivée, nous recevons deux téléphones satellite envoyés par France Télécom et deux autres mis à disposition par Inmarsat. Face aux 15 000 réfugiés qui composent le camp à ce moment et grâce à la mobilisation internationale, Télécoms sans Frontières a décidé de poursuivre sa mission, initialement prévue pour une dizaine de jours, sur les semaines à venir. Dans le même temps, France Télécom et Inmarsat offrent à TSF la gratuité des communications, chacun sur un de leurs équipements, durant deux semaines.
Désormais, deux téléphones satellite fonctionnaient en permanence en émission, les trois autres étant affectés à la réception d’appels. Face à la demande, l’équipe de TSF s’est mobilisée 7 jours sur 7, jusqu’à 14 heures par jour, dans des conditions climatiques parfois difficiles. Spontanément, des réfugiés viennent proposer leur aide à TSF.
Des conversations téléphoniques traduites par nos interprètes, racontaient tout le drame et toute l’horreur vécus par ces populations :
« Je suis vivant ! Je suis à Stenkovac, je ne sais pas où sont les autres, aidez-moi !! »
La population du camp a grossi de jour en jour (ils étaient entre 15 et 18 000), une « chaîne téléphonique » s’est mise en place où chaque personne qui reçoit un appel communique à son correspondant un numéro à contacter d’un réfugié dans le camp. Ainsi, des gens ont été appelés sans avoir prévenu directement leurs familles. De chaque coin du monde sont arrivés chaque jour des centaines d’appels, le bouche à oreille ayant parfaitement fonctionné au sein de toutes les communautés Kosovars. Le résultat ne s’est pas fait attendre : les cinq téléphones de TSF étaient de plus en plus inaccessibles, le réseau saturaient, les populations s’impatientaient parfois. Mais chaque réfugié a pu, parfois au prix de longues heures de patience, donner de ses nouvelles à ses proches vivants à l’étranger. L’urgence était traitée, même si un long travail restait encore à faire.
TSF prolonge sa présence grâce à de nouveaux financements
L’action de TSF a retenu l’attention du Ministère des Affaires Etrangères français (MAE). Fin avril, le service de l’action humanitaire du MAE a contacté l’association afin de pérenniser son action sur le terrain. Désormais, c’étaient 15 téléphones satellite qui fonctionnaient en permanence en réponse aux besoins des 23 000 réfugiés. Derrière chaque appareil, un bénévole du camp prenait les communications et appelait par haut-parleur les personnes concernées.
Les télécommunications au service du rétablissement des liens familiaux
TSF a été contactée par Deutsche Welle, une radio allemande qui émet en langue albanaise. Chaque jour, TSF envoyait par fax des messages de réfugiés présents dans le camp. Ces informations étaient ensuite diffusées dans toute l’Allemagne par la voie de Deutsche Welle. Près de 80% des réfugiés avaient de la famille en Allemagne, et l’action de Deutsche Welle et de TSF était un gros soulagement pour la communauté kosovar vivant en Allemagne.
TSF a également mis à disposition des fax destinés à recevoir des informations pour la population. Ces fax ont permis aux réfugiés de recevoir des courriers et des documents administratifs, absolument nécessaires pour un éventuel départ. Démunis de tout document attestant de leur identité, les réfugiés ne pouvaient compter que sur leurs familles résidant à l’étranger. Elles seules pouvaient leur fournir un certificat d’hébergement, un certificat de naissance, une lettre de recommandation, etc. TSF était la seule organisation capable de fournir cette prestation et son action est devenue capitale. Elle était, pour tous, la seule porte ouverte vers les regroupements familiaux, la dernière bouée de secours pour un départ vers l’Allemagne, La France, le Canada.
Parallèlement, l’action menée par Radio France International (RFI) a trouvé son écho chez TSF. Chaque jour, RFI a émis un message sur un des téléphones TSF, équipé de hauts parleurs. Le message contenait des informations sur des familles qui recherchaient leurs proches. Ce reportage, d’environ 20 minutes, a été diffusé à heure fixe à la population du camp de Stenkovac. Il était également enregistré par TSF qui, ensuite, se rendait au camp de Brazda (situé non loin de Stencovac) pour diffuser le même message. Cette opération a permis à plusieurs dizaines de familles des deux camps d’avoir des nouvelles de leurs proches. TSF était le seul lien avec le monde pour des populations décimées et prisonnières dans un camp.
TSF a terminé son action auprès des réfugiés kosovars le 5 juillet 1999. 65 000 appels ont été passés durant ces trois mois. Au-delà de leur permettre de renouer le lien avec leurs familles et leurs proches ou de faciliter leurs démarches administratives, l’accès aux télécommunications a permis aux réfugiés de retrouver l’espoir.